Le 16 décembre 1971, la fin de la guerre de libération (de l’emprise du Pakistan occidental) marquait le début du Bangladesh en tant que nation. Dans les années 70, Bangladesh évoquait guerre cruelle, populations déplacées, niveau de vie misérable. Plus tard ce pays mal connu, ne faisant pas partie de la « zone de solidarité prioritaire » pour la politique française, n’accédait à l’actualité qu’à l’occasion de catastrophes naturelles de grande ampleur (cyclones : 140 000 morts en 1991 ; inondations : 45 millions de personnes touchées en 1988, 36 millions en 2004 ; et – moins connues – sécheresses : 20 millions de personnes touchées en 1983). Il est difficile, notamment pour des étrangers même attentifs, de dresser un tableau représentatif de la situation actuelle du Bangladesh, et de ses évolutions. Voici quelques points de repère, les chiffres ne devant pas faire oublier les réalités humaines qu’ils évoquent.
jeunes mères à la campagne
En 1971, le Bangladesh comptait environ 75 millions d’habitants. La population actuelle est estimée à 169 millions d’habitants. Cela en fait le 8ème pays le plus peuplé ; et aussi l’un des plus densément peuplés, avec environ 1286 h/km2 (France : 115). Le taux de croissance annuelle de la population est de l’ordre de 1,1 % (France 0,5%). Depuis quelques années, il s’est ralenti, sous l’effet de la contraception et d’une certaine élévation du niveau de vie : le taux de fertilité est passé de 4,4 à 2,1 enfants par femme. Le sex-ratio est plus équilibré que dans d’autres pays asiatiques. La population urbaine est passée à environ 38% de la population totale du pays : l’agglomération de Dhaka compte environ 23 millions d’habitants (ce qui en fait la 4ème ville la plus peuplée), celle de Chittagong 5,2. L’afflux, dans les villes, de populations rurales démunies a entraîné le développement incontrôlé de bidonvilles et celui d’une économie urbaine de survie. Ce mouvement ne semble pas près de s’arrêter.
Ferme au sud du Bangladesh
Le Bangladesh a un niveau de vie qui reste bas. Si l’on s’en tient au critère monétaire classique, le PIB (produit intérieur brut) /habitant est de l’ordre de 2734 $ (France : 44 400). Son taux de croissance est élevé, de l’ordre de 6/7% depuis plusieurs années. La proportion de la population en grande pauvreté (disposant de moins de 1,90 $ par jour) est en diminution : de 56% en 1990, à 15% en 2017. Mais les inégalités restent très fortes ; le salaire minimum d’une ouvrière du textile a été relevé, après le drame du Rana Plaza en 2013 et suite à des grèves, à 8000 takas, soit environ 80€/mois en 2019. L’indice de développement humain (IDH) tient compte de critères de revenu, mais aussi de santé et d’éducation. C’est celui du Bangladesh qui a le plus progressé en Asie du sud, mais parti de très bas, il est maintenant au 129ème rang mondial. Il y a eu de réels progrès en matière de scolarisation et d’alphabétisation, notamment pour les filles, mais près du quart des jeunes de 15 à 25 ans restent mal ou pas alphabétisés.En matière de santé, les réels progrès peuvent s’apprécier par celui de l’espérance de vie en forte progression : de 44 ans en 1971, elle est passée maintenant à 74 ans (en France : 81 ans).
La mortalité infantile est descendue à 29,1 ‰ en 2020. La mortalité des femmes en couche pour 100.000 naissances est passée à 173.
(l’amélioration est encore plus forte chez les patientes de GK et « l’objectif du millénaire » prôné par les Nations Unies de 144 a été atteint dans leurs centres de santé avant la date prévue de 2015). Sans entrer dans les détails des données et des critères, la situation apparaît néanmoins toujours préoccupante au niveau national : faibles dépenses de santé (32 euros /h/an ; France : plus de 3000 …), faiblesse des effectifs et de structures de soins (5 médecins et 8 lits d’hôpital pour 10000 h ; France : 37 et 72), inégalité dans l’accès aux soins, etc.
Usine textile
Depuis 45 ans, le Bangladesh est resté un pays dont l’agriculture emploie encore près de la moitié de la main d’œuvre (mais elle ne contribue qu’au 1/5ème de la richesse nationale). Malgré la croissance de la production vivrière et des rendements, le Bangladesh peine à assurer son autosuffisance alimentaire et doit importer, surtout en cas de mauvaises récoltes, des denrées telles que des céréales ou de l’huile, ce qui crée des tensions sur les prix au détail.
Le Bangladesh, déjà ouvert au temps de l’Empire britannique, est de plus en plus « mondialisé » : les importations et les exportations représentent chacune plus de 20 % du produit national brut, et ont plus que doublé depuis 2004, progressant plus vite que le produit national brut.
Les produits textiles et d’habillement représentent les 3/4 en valeur des exportations, loin devant les crevettes et le poisson congelés, le jute et les cuirs. Une autre source de devises est assurée par les « remittances », envois d’argent par les travailleurs expatriés dont le nombre est estimé à 6 millions en 2009-2010 soit 4% de la population (en majorité au Moyen-Orient) : cela représente autour de 10 % du produit national brut, autant que les exportations de textiles-habillement. Toutes ces ressources en devises sont sensibles à la compétition commerciale (qui a pu bénéficier au Bangladesh quand les salaires du textile chinois ont augmenté) et à la conjoncture politique, comme on l’a vu au printemps 2011 en Libye et ailleurs, ou économique quand la crise ralentit les besoins en main d’œuvre (qualifiée ou non) dans les pays d’accueil. Avec une population qui continue à croître sur un territoire restreint, aux ressources naturelles limitées, le Bangladesh n’est pas encore parvenu à s’inscrire parmi les « pays émergents ». Malgré le dynamisme de sa population, « les termes de l’échange » (le pouvoir d’achat de biens et services importés qu’un pays détient grâce à ses exportations) ne lui sont guère favorables : il lui faut acquérir des biens et services coûteux alors que la pression maintient à la baisse les salaires et les prix de ses produits exportés.
Monument national du Bangladesh
Le Bangladesh, sa langue, le bengali (parlée dans le monde par presque autant de locuteurs que le français), la société et les cultures bangladaises restent méconnus en France. La démographie, l’économie, l’ouverture sur le monde entraînent, au Bangladesh comme ailleurs, des évolutions politiques, culturelles et sociales qu’il n’est pas facile de saisir et de présenter sans simplifications ou partialité. Essayons d’en lister quelques-unes. La vie politique du Bangladesh a connu depuis l’indépendance de fréquentes périodes de troubles dont quatre coups d’état militaires en 1975, 1982 et 2007 en dépit d’une constitution créant une démocratie parlementaire. Elle est aujourd’hui focalisée sur la compétition entre les deux partis majoritaires : la Ligue Awami menée par Sheikh Hasina Wasid (fille de Mujibur Rahaman, fondateur de la république et assassiné en 1975) et le Bangladesh Nationalist Party, mené par Begum Khaleda Zia, veuve de son fondateur, le général Zia assassiné en 1981. Leur animosité réciproque est une composante du débat violent en cours. Parmi les nombreux petits partis politiques, deux ont une certaine importance : le Jammat-e-Islami, (JI) qui avait combattu contre les indépendantistes en 1971 et le Jotya Party (JP) du général Ershad, auteur du coup d’état de 1982. De 1991 à 2013, la démocratie parlementaire a fonctionné avec une alternance des deux grands partis : Begum Khaleda Zia, premier ministre de 1991 à 1996 et de 2001 à 2005 et Sheikh Hasina Wazid, fille de Mujibur Rahaman, premier ministre de 1996 à 2000, de 2008 à 2013 et depuis 2014. Cette alternance est rendue possible par la mise en place depuis 1990 d’un gouvernement par intérim neutre (caretaker government), chargé de conduire les élections de façon impartiale. Toutefois, chacun des deux partis, lorsqu’il se retrouve dans l’opposition, boycotte le travail parlementaire. En 2007, les militaires ont pris le pouvoir à travers le gouvernement intérimaire pour procéder au nettoyage de la vie politique gangrenée par la corruption, mais ont dû, sous la pression des pays donateurs, organiser des élections en 2008 qui ont été gagnées par la Ligue Awami. En 2013, Sheikh Hasina fait passer une loi qui supprime l’existence d’un gouvernement intérimaire durant les élections. Le Jamaat-e-Islami ne peut participer à ces élections, ses chefs devant répondre devant la justice de crimes commis durant la guerre d’indépendance de 1971 aux côtés de l’armée pakistaine. En réponse, le BNP et les partis d’opposition boycottent les élections dans l’espoir d’obtenir la réintroduction d’un gouvernement intérimaire et déclenchent de nombreuses grèves et manifestations qui dégénèrent dans la violence. La victoire de la Ligue Awami est écrasante et elle refuse d’accéder à la demande des pays occidentaux d’une nouvelle élection avec participation de tous les partis. De janvier à avril 2015, le BNP a renouvelé sa campagne violente lors de 92 jours de grèves et blocages des routes. La police et l’armée se sont opposées à ces manifestations. Les violences ont fait 122 morts et plus de 3000 blessés en 4 mois. Des milliers d’opposants ont été emprisonnés. La vie politique bangladaise se déroule dans la violence : bourrages d’urnes, incendies de bureaux de vote… Les manifestations s’accompagnent parfois de jets de bombes artisanales, d’incendies de bus et de camions.
Les carences de la vie politique s’expliquent aussi par le pouvoir absolu des chefs de partis, les mêmes depuis 24 ans.
Les carences de la vie politique s’expliquent aussi par le pouvoir absolu des chefs de partis (les mêmes depuis 24 ans à la Ligue Awami, au Bangladesh Nationalist Party, au Jotya et au Jamaat-e-Islami), par l’absence de démocratie interne dans les partis, par la présence dans leurs rangs d’hommes d’affaires influents dans les instances décisionnaires. La loi sur la restriction d’expression sur internet, des pressions sur les journalistes et la presse, le laisser-faire vis à vis des forces paramilitaires responsables de tortures et de disparitions témoignent d’une dérive inquiétante de la vie politique actuelle du Bangladesh. La corruption est certainement une des plaies tant de la politique que de la vie économique et de la vie quotidienne des citoyens. S’il s’améliore les dernières années, l’indice de perception de la corruption établi par Transparency international place toujours le Bangladesh dans le peloton de queue. L’observateur extérieur est frappé par la gentillesse et la dignité du peuple bangladais, mais aussi par la violence de certains comportements : violences faites aux femmes, souvent liées à des litiges sur les dots ; méthodes qui semblent expéditives de certaines unités de la police ; lynchages de délinquants par des foules … Le développement de l’information et des mouvements civiques devrait contribuer à endiguer ces violences.
On sait combien GK met en exergue l’importance de l’empowerment des femmes, par l’éducation, la santé, l’accès à la qualification et à l’autonomie économique.
La situation de nombreuses femmes s’est certainement améliorée depuis 1971, mais il reste encore beaucoup à faire pour modifier les comportements et les mentalités, notamment dans les milieux où le fondamentalisme musulman prospère. Autre question toujours d’actualité : la place des minorités, qu’elles soient tribales ou religieuses. Dans les Chittagong Hill Tracts (CHT), les relations entre les populations tribales autochtones (les Jumma) et les arrivants venus des plaines avec l’appui des autorités ne sont pas complètement apaisées malgré l’accord de paix de 1997. Les Jumma en demandent l’application, le retrait des campements militaires de leurs terres et la reconnaissance de leurs droits territoriaux en tant que peuple indigène. D’autres minorités, Rohingyas réfugiés du Myanmar en 1991, Biharis abandonnés par les Pakistanais en 1971, sont encore marginalisées. Les minorités religieuses peuvent ne pas se sentir à l’aise devant ceux qui rappellent que l’Islam est la religion d’État. Sur le plan géopolitique, le Bangladesh cultive son non-alignement. La situation est parfois tendue entre le Bangladesh et son grand voisin, l’Inde, à partir de conflits sur l’usage de l’eau du Gange et de la Teesta et d’incidents frontaliers contre lesquels l’Inde a dressé une double barrière de barbelés sur plus de 2500 km. Avec le Myanmar, un litige porte sur la délimitation de la frontière maritime dans une zone potentiellement riche en hydrocarbures. On pourrait aussi développer d’autres sujets, tels que la place respective de la politique et de l’économie publiques, du secteur privé et des ONG dans la société bangladaise : la faiblesse des moyens de l’État conduit le secteur privé à investir non seulement les activités de production et de services marchands mais aussi la santé (hôpitaux, cliniques), l’éducation (écoles, universités). Les nombreuses ONG (plus de 2000 sont enregistrées officiellement en 2011) interviennent aussi dans divers domaines, les plus connues étant Grameen (micro-crédit et autres), BRAC (93000 employés au Bangladesh, dont 38000 enseignants ; présence dans 10 pays d’Asie et d’Afrique) … et GK !
Briqueteries, sources de pollution
On sait que le Bangladesh est confronté au défi du réchauffement climatique, avec les risques d’élévation du niveau de la mer, de modification des ressources en eau et des aléas climatiques. Les autorités en sont conscientes, mais il n’est pas facile de savoir que faire pour que le nécessaire développement soit durable. Citons trois domaines cruciaux : l’eau ; l’occupation du sol et des territoires ; les ressources énergétiques. La question de l’arsenic dans l’eau a été évoquée plusieurs fois dans nos rapports ; on ne peut pas dire qu’elle soit résolue : des dizaines de millions de personnes consomment encore de l’eau avec des teneurs en arsenic dépassant les normes. Mais il y a aussi d’autres inquiétudes : la salinisation des eaux proches de la mer ; les modifications, induites par l’homme ou par le réchauffement climatique, du débit des grands fleuves ; la pollution par les industries et l’insuffisance de l’assainissement ; les maladies infectieuses qui restent une menace, notamment pour les enfants en bas âge ; l’assèchement des zones humides qui accentue les effets des inondations pendant la mousson. Ces thèmes mériteraient à eux seuls un développement plus important.
Compte tenu de la densité de population, de l’urbanisation qui consomme des terres arables et comble les plans d’eaux, l’occupation du sol et des territoires est un problème croissant.
on peut craindre une aggravation de la pression sur les terres moins densément peuplées des zones tribales, et une accélération des déplacements de populations de « réfugiés climatiques ». Quant aux ressources énergétiques, le Bangladesh dispose certes de gaz naturel et d’un peu de charbon – utilisé dans les centrales thermiques et dans les briqueteries – dont l’exploitation crée des problèmes d’environnement et d’expropriation. Mais les pénuries, notamment d’électricité, risquent de s’aggraver quand la consommation d’énergie (25 fois plus faible par tête qu’en France !) augmentera. Les énergies renouvelables ne pourront venir de la biomasse agricole au détriment des cultures vivrières.
Femmes travaillant dans une imprimerie
Aussi sommaire soit-il, cet aperçu de l’évolution et de la situation actuelle du Bangladesh montre combien il y a de raisons de s’intéresser à un pays qui, si comme le disait au 16ème siècle Jean Bodin : « Il n’est de richesse que d’homme », a de grandes perspectives devant lui. On voit aussi combien les actions de GK – dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’émancipation des femmes, du développement intégré, de l’aide aux minorités etc.- sont en phase avec les besoins d’une population qui a lutté et qui doit continuer à lutter pour une amélioration de ses conditions de vie.